Le narrateur

Le narrateur

Extrait

(Mercure de France, 2004)

« Qui donc ai-je tué ? se demande le narrateur. Se peut-il qu’on ait tué sans le savoir ? Qu’une amnésie se soit emparée de vous au point de ne plus savoir du tout qui on a été ni ce qu’on a fait ? Le nom de la victime est-il ce nom qui me manque et expliquerait tout ? Il se souvenait d’un moment de sa vie où il était allé avec une telle volonté, une telle détermination, une telle pétulance du côté de la vie, que c’était tout à fait comme un enfant qui court pour échapper à un épouvantail, ne veut plus rien entendre, veut oublier, oublier, oublier en se grisant ». 

« A trois ans, le narrateur était déjà narrateur, « séparé du monde depuis toujours et pour toujours, le considérant avec intérêt et surprise comme une chose très nouvelle ». Pour ne pas accabler ses voisins de table, il affiche aujourd’hui « une simplicité de star ». Monsieur Real (c’est le nom sous lequel il se fait inscrire dans les registres d’hôtel) est un homme d’une quarantaine d’années, professeur ou bibliothécaire (c’est le métier qu’il déclare), pas si mal de sa personne (sans être beau), qui, à tout portrait de groupe ajoute une note insolite : « Ils font des photos, ça y est, c’est une figure, ils parleront de lui lorsqu’ils seront rentrés chez eux ». Devant les publics les plus variés – losers, marginaux ou fous, coquettes, précieuses ou ridicules – il défend les couleurs de la littérature, « sa déesse et monture ». Destiné à regarder pour raconter, à feindre de participer, il n’éprouve rien sinon « la nécessité de construire une histoire et le souci qui s’attache à la perspective de ce travail difficile ». En dépit de sa situation particulière – « un corps si lisse que nul ne peut y trouver une entrée » – Monsieur Real a un cœur comme tout le monde. Tout en refusant d’être seul comme Job, il doit se contenter d’un rôle fantomatique en société : invisible et pourtant désireux de s’offrir une aventure, célibataire à vie mais pas vraiment abstinent, il s’oppose à l’amour « comme à ce qui peut lui faire perdre pied, l’extraire du langage qu’il tisse et file depuis qu’il a trouvé un emploi dans le monde ». 

Tageblatt, Corina Mersch, 16/07/2004

« Le Narrateur pourrait être placé sous le signe de Magritte : ceci n’est pas un roman, mais une troublante mise en abymes. En suivant « le narrateur » dans un chalet de montagne, on s’interroge sur le romancier, son pouvoir de raconter, son exil ambigu parmi les autres, qu’il transforme en personnages ».

Le Monde, Monique Pétillon, 3/06/2004

« Le récit d’Anne Serre nous livre autant de secrets que la plus impudique autofiction, mais il le fait à l’aide d’images, de figures, de situations fictives, et le degré de complexité de ce qui est montré est sans doute bien plus grand que si elle avait dit Je ». 

Verso, Belinda Cannone, octobre 2004