La petite épée du coeur
La petite épée du coeur
Extrait
(Le Temps qu’il fait, 1995)
« C’était joli ces actrices mouillées au corps nu, palpitantes. A croire que tout est permis sur une scène, comme dans la vie. Sandor, le jeune premier, maugréait. Natacha l’héroïne avait les lèvres bleues, quant à Rutila, fière d’une poitrine exquise que le monde entier avait admirée, elle riait comme une folle. Une crise de nerfs probablement. Il faut dire qu’elle était allée très haut dans le ciel, presque trop haut peut-être. Elle faisait (sans plaisanter) semblant de cracher des étoiles. Grégoire (artiste laid mais doué) sautait d’un pied sur l’autre pour se réchauffer. La troupe était considérable : il y en avait encore qui descendaient du ciel alors que le public finissait presque d’applaudir ».
« Mettons qu’il s’agisse d’une petite troupe de théâtre qui tiendrait plus du Living Theatre à la manière avignonnaise tendance 68 que des troupiers de la Comédie-Française façon Jean Le Poulain. Ils vont à travers les campagnes et les places, se contentant en somme de jouer surtout à être eux-mêmes. Capricieux, un peu cruels, soudain pris dans des zones de silence et de caresses nocturnes ; ils s’appellent pêle-mêle Rebecca, Natacha, Rutila, mais aussi Sandor ou Grégoire (…) Mettons encore que cette mirifique troupe de sauvageons figure assez bien ce qui pourrait s’appeler une allégorie du bonheur. On pense à La Danse de Matisse, à quelque chose dans ce goût-là. Comment le bonheur tient-il ? Tiendrait-il à la manière de cet échafaudage acrobatique de corps entremêlés qui fait l’enchantement du public avant de se désagréger sous les vivats ? »
La Croix, Michel Crépu, 24/07/1995